Je vous invite à prendre connaissance du texte de l'intervention que j'ai prononcée hier au Conseil de Paris à l'occasion du débat relatif à la création des centres de consommation à moindre risque pour usagers de drogue.
« Monsieur le Maire,
Chers collègues,
Notre débat doit inviter chacun d’entre nous à beaucoup de retenue et de gravité.
Beaucoup de retenue voire de modestie car la prise en charge et le suivi actuel des toxicomanes par la puissance publique ne peuvent prétendre à la perfection tant nous évoquons des situations humaines aussi terribles que délicates.
De la gravité également tant nous abordons la souffrance humaine dans ce qu’elle a de plus insondable et parfois de plus insoupçonnable. On ne trouve pas une échappatoire dans des substances illicites par hasard. On ne consomme pas des drogues dures pour le plaisir. On en abuse souvent parce que l’on souffre, parce que l’on veut échapper aux angoisses du quotidien, parce que l’on ne se remet pas d’injustices ou d’accidents de la vie…
Face à ces différentes douleurs qui mènent à la consommation de drogue, il est de l’honneur de tous d’explorer de nouvelles voies.
Comment, en effet, ne pas adhérer à l’idée que l’on doive en permanence innover pour venir en aide à ces personnes en grande difficulté.
Mais cette quête de l’innovation doit-elle se faire au détriment de la réalité du terrain ?
Je ne le pense pas.
La réalité c’est que cette proposition remettrait en cause la spécificité française basée sur deux piliers que Philippe Goujon, il y a un instant, a rappelé avec force : l’interdiction de la consommation des drogues et l’accompagnement des toxicomanes.
Remettre en cause la cohérence de ce système serait briser un quasi consensus national forgé à travers le temps par des gouvernements de Gauche comme de Droite.
Faire croire à une méthode alternative serait un signal désastreux en terme de santé publique et de prévention contre les toxicomanies.
Promouvoir ces centres consisterait à banaliser la consommation des drogues et surtout à laisser penser que l’on peut améliorer la vie des victimes de la drogue et escompter des résultats meilleurs.
Des résultats justement parlons-en.
La force de l’argumentation des promoteurs de ces centres est dans la comparaison.
Mais peut-on comparer le système français de prise en charge des toxico-dépendants avec ceux de Hollande, du Canada, de Norvège, de Suisse, du Royaume-Uni et d’Allemagne. La réponse est bien évidemment négative.
Puisqu’il faut argumenter autour des résultats.
Dois-je vous rappeler d’abord qu’il y a 4 à 5 fois moins de décès par overdose en France qu’en Allemagne et 6 à 7 fois moins qu’au Royaume Uni, que la consommation d’héroïne est de 1,4 pour 1000 habitants dans notre pays alors qu’elle s’élève à 5,2 au Royaume-Uni et 5,9 en Suisse.
Dois-je ensuite vous remémorer qu’en France, 57% des usagers de drogue sont sous substitution contre 45% en Suisse, 36% en Espagne et 24% en Allemagne.
Dois-je enfin vous rappeler que les contaminations chez les usagers de la drogue par voie intraveineuse du VIH et/ou du VHC sont dans l’hexagone en diminution constante.
Mes chers collègues, notre débat symbolise un paradoxe bien français.
Au moment où l’ONU salue l’action et les résultats de la France dans ce domaine, nous voudrions remettre en cause notre organisation.
Au moment où l’organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) recommande la fermeture de 32 salles d’injection, nous voudrions les expérimenter.
Expérimenter quoi d’ailleurs ?
Expérimenter comme à Vancouver que 70% des toxicomanes ne s’en sortent pas.
Quelle conception de l’action publique aurions nous si nous adhérions à un tel renoncement en matière de santé publique.
Il ne peut pas y avoir d’arrangement avec notre droit, avec la conception française en ce domaine et avec nos valeurs humanistes.
On ne guérit pas le mal par le mal !
Comme on ne lutte pas contre la prostitution et la traite des femmes en rouvrant des maisons closes.
Mes chers collègues, il y a une conviction française, celle d’inscrire les toxicomanes dans un parcours de soin et de les aider à sortir de l’addiction.
Vous en conviendrez cette conception française ne peut être sacrifiée sur l’autel d’expérimentation pour le moins hasardeuse.
Il en va du respect de la condition humaine et de l’idée que nous nous faisons, autour de notre pacte républicain, de la dignité des hommes. »