Je vous invite à prendre connaissance de l’intervention que j’ai prononcée ce matin au Conseil de Paris sur l’hébergement d’urgence.
« Monsieur le Maire,
Chers collègues,
Aborder l’hébergement d’urgence lors d’un débat public doit nous inviter à de la retenue et à de la gravité tant ce sujet est au cœur d’une des valeurs fondatrices de notre République : la fraternité.
Il s’agit en effet d’évoquer la solidarité élémentaire que nous devons collectivement à ceux qui souffrent le plus. A ceux d’entre nous qui sont délaissés dans un monde de plus en plus impitoyable. A ces multiaccidentés de la vie aux nombreuses difficultés qui, au quotidien, outre la pauvreté sont souvent confrontées à des polypathologies, à l’addiction, à la violence, à l’abandon social et à la solitude.
Pour leur venir en aide, l’ensemble des acteurs publics et associatifs concernés doit faire preuve de responsabilité, de sens de l’équipe et d’adaptabilité.
De responsabilité parce qu’elle doit être au cœur de nos décisions autant sociales que budgétaires.
Du sens de l’équipe parce qu’entre tous les acteurs sociaux, les chasses gardées ne devraient pas exister. L’esprit de boutiquiers du social devrait être banni. La rétention d’information ne devrait laisser place qu’à la concertation permanente.
Et d’adaptabilité parce les publics concernés évoluent. Ils ne sont pas toujours identiques. Les politiques publiques en ce domaine se doivent d’être aussi imaginatives que pragmatiques.
De même, pour les élus que nous sommes, l’aide aux personnes qui se trouvent dans le plus grand dénuement et la précarité la plus inacceptable, devrait nous mener à dépasser les clivages, à rejeter tout manichéisme et à éviter au sein de l’agora à rejouer la guerre des boutons du type « plus social que moi tu meurs ».
A la lecture de votre communication on aura bien compris que tel n’est pas votre approche de ce débat puisque vous avez choisi un ton inutilement polémiste. Quant à vos affirmations certaines sont mensongères et beaucoup relèvent de l’exagération.
Vous avez décidé d’instrumentaliser l’hébergement d’urgence à des fins politiciennes. Vous avez également fait le choix d’instrumentaliser le SAMU social et la démission, non encore effective d’ailleurs de Monsieur Emmanuelli.
A propos de ce dernier, vous lui rendez hommage pour le dévouement qui a été le sien durant 18 ans à la tête de cette institution qu’il avait lui-même fondée avec le soutien de Jacques Chirac. Je m’associe à votre hommage tant Xavier Emmanuelli est un homme de qualité, un humaniste et acteur engagé et exigeant de l’urgence sociale. Je ne nie d’ailleurs absolument pas que sa vision actuelle de l’aide d’urgence l’oppose sur un point à l’Etat sur lequel je reviendrai dans un instant. Mais Monsieur le Maire si vous vouliez m’accompagner sur le chemin de l’honnêteté, le seul qui vaille, me semble t-il, lorsque l’on parle de ces sujets, c’est d’admettre avec moi que Xavier Emmanuelle renvoie la ville et l’Etat dos à dos. Dans son interview en date du 20 juillet dernier, il déclarait dans les colonnes de Charlie hebdo: « l’urgence sociale, personne n’y croit, ça appartient aux petits hommes gris comme disait Nietzsche. Les technos, les mecs qui pensent structure, budget et pas souci de l’autre. C’est comme dans le dessin animé de Tex Avery, tout le monde se refile le bâton de la dynamite avant qu’il pète. « On est dans c’est pas moi, c’est toi » : c’est du ressort de l’Etat, non c’est celui de la mairie. Ils se tirent dans les pattes, ils n’ont pas les mêmes objectifs, c’est à celui qui ne paiera pas ou au contraire, qui se dira le plus généreux ».
Nous ne sommes pas obligés, Monsieur le Maire, de partager cette analyse à 100%. Elle est sans doute excessive comme le sont souvent celles de ceux qui parlent avec leur cœur et leurs tripes. Celle des hommes de terrain qui ne peuvent plus supporter tant de détresse humaine. Ce constat doit cependant avec force nous interpeller. Il doit encourager chacun des acteurs à se mettre autour d’une table notamment dans le cadre de la préparation de la nouvelle convention pour établir le SAMU social de demain. Et il est enfin la preuve que dans le débat actuel, vous – pas plus que les pouvoirs publics- ne pouvez vous revendiquer de la pensée du fondateur du SAMU social et qu’en conséquence vous ne pouvez absolument pas bâtir votre argumentation sur ses prises de positions et ses décisions.
D’autant que sur la question du SAMU social en général et de son financement en particulier, la Ville de Paris devrait faire preuve de modestie. La subvention de 300 000€ que vous nous proposez ce matin et que nous voterons ne peut faire oublier la réalité. Dois-je vous rappeler Monsieur le Maire que la participation de l’Etat est 17 fois supérieure à celle de la ville alors qu’en terme de droit statutaire de ce Groupement d’Intérêt Public le département et ville de Paris en détiennent 40% et l’Etat 22,5% . Dois-je vous rafraîchir la mémoire en vous signalant que la participation de l’Etat a augmenté de 48% en 5 ans. Dois-je également vous rappeler que la part du financement par l’Etat des nuitées hôtelières est passée de 37 millions € en 2007 à 44 millions € en 2011. Je ne pense pas vous apprendre non plus que le budget d’ensemble du SAMU social a progressé de 94% entre 2007 et 2010. Voilà la réalité, elle est sans doute perfectible mais elle ne mérite ni l’opprobre et ni les attaques excessives dont vous vous faites ce matin le porte-parole.
Quant à la polémique que vous souhaitez créer en déclarant la fermeture de 4500 places en 2011, elle pourrait sans doute être évitée.
D’abord, parce qu’il ne s’agit pas de la suppression de moyens mais de leur réorientation.
Ensuite, parce qu’une majorité des professionnels de l’hébergement s’accorde à penser que les nuitées ne peuvent constituer l’unique réponse en matière d’hébergement d’urgence. C’est d’ailleurs là une divergence de fond que l’on peut avoir avec Xavier Emmanuelli. Ces nuitées constituent une réponse pour des publics très désocialisés. Elles ne peuvent être une réponse pour d’autres. La durée moyenne d’hébergement est de 18 mois. Cela n’est pas acceptable. Une famille est même restée 11 ans dans un hôtel. Est-ce admissible ? Ces nuitées ne sont pas adaptées à de nouveaux publics qui ont émergé et auxquels nous devons apporter une réponse appropriée comme les travailleurs pauvres ou les femmes victimes de violence conjugale. C’est dans cette logique que Benoist Apparu a proposé que 4500 places d’hébergement soient autant d’accès au logement. Cette volonté politique devrait s’articuler autour de trois principaux axes.
Premièrement, par l’intermédiation locative. Dans le cadre de SOLIBAIL, grâce à la mobilisation de 18 associations et des pouvoirs publics 1500 logements permettront d’accueillir 4500 personnes.
Deuxièmement, par la multiplication de lieux collectifs type pension de famille avec des studios et des F2.
Troisièmement, par la reconquête du contingent préfectoral via des Conventions d’Unité Sociale proposant que 15% de ce contingent soit accordé à des dossiers DALO. Tous les départements d’Ile-de-France sont sur le principe d’accord, à l’exception d’un seul : Paris.
Monsieur le Maire, il faudra que vous nous expliquiez pourquoi Monsieur Mano, votre adjoint en charge du dossier, a refusé cette proposition ?
Plutôt que d’y répondre vous préférerez sans doute rester dans le jeu de la polémique en indiquant qu’il manque 13 000 places en Ile-de-France prévues par le Plan Régional d’Accueil, d’Hébergement et d’Insertion.
Votre interprétation est assez fallacieuse puisque vous oubliez d’une part que le nombre de places d’accueil en Ile-de-France a cru de 65% en 5 ans et d’autre part que ce plan a été décidé il y a 2 ans pour une durée de 5 ans. Nous sommes à mi-parcours de son exécution. Vous ne pouvez donc en dresser un bilan définitif.
Ce chiffre de 13 000 places est une estimation des associations et non de la préfecture. Il n’a jamais été prétendu par les services de l’Etat qu’il fallait créer 13 000 places supplémentaires en Ile-De-France. D’autant plus que tout en souhaitant des places supplémentaires, ces mêmes associations demandent aux services préfectoraux des solutions plus pérennes.
C’est exactement dans ce sens que le gouvernement de François Fillon inscrit son action en alliant continuité dans les moyens et recherche de solutions plus humaines et davantage en adéquation avec les attentes réelles des personnes concernées.
Alors que l’Etat s’impose une réduction des dépenses de fonctionnement de 10% sur trois ans pour répondre à l’impératif enjeu de la baisse des déficits publics, le plafond des dépenses engagées par l’Etat au titre du programme 177 restera inchangé. Ainsi l’engagement de l’Etat qui a permis d’augmenter en continu le nombre de places d’hébergement de plus 28% en 5ans sera maintenu.
En parallèle, l’objectif du « logement d’abord » permettra d’élargir le champ des solutions pour répondre aux besoins des plus démunis. La création d’un fond d’accompagnement vers et dans le logement y contribuera. Le lancement en 2008 du chantier national prioritaire sur le logement illustre cette ambition.
Monsieur le Maire, si vous faites le choix de l’honnêteté, vous ne pouvez pas dire que rien n’a été fait en matière d’hébergement d’urgence depuis 5 ans.
Monsieur le Maire, je sais bien que les mois qui s’annoncent seront l’objet de toutes les surenchères qu’elles soient verbales, ou financières.
Vous n’êtes pas obligé de céder à cette tentation.
Les hommes et les femmes, victimes de la très grande pauvreté attendent des élus qu’ils fassent preuve, pour leur venir en aide, de modestie mais aussi d’audace.
Alors Monsieur le Maire par décence vis-à-vis d’eux évitons les polémiques. Mettons-nous au travail. Faites que les services de la ville travaillent de concert avec ceux de l’état notamment dans le cadre du SAMU social.
Il en va d’une certaine conception de la dignité humaine. »