Le 14 juillet 1789, la Bastille était prise - cela, nous le savons tous. Ce que nous savons moins, c'est l'histoire de cette imposante forteresse. Que diable faisait-elle là ? Quand et pourquoi l'a-t-on construite ? Et après tout, pourquoi ne l'avons-nous pas conservée ? Alors ensemble, reprenons la Bastille... depuis le début !
Nous sommes en plein Moyen-âge ; en 1358, plus exactement. La cathédrale Notre-Dame est à peine achevée ; Jeanne d'Arc n'est pas née. La France est encore une mosaïque de duchés, baronnies et principautés ecclésiastiques liés par la vassalité au roi, et l'on y parle moult patois. Mais dans ce décor pittoresque, la paix ne règne pas. Depuis vingt ans, les chevaleries française et anglaise s'affrontent dans des batailles épiques qui allaient se succéder durant plus de Cent Ans. Les Français ont l'avantage du nombre, mais leurs divisions permettent à l'adversaire de remporter d'éclatantes victoires, et l'Angleterre contrôle bientôt tout l'ouest de la France, des Pyrénées à la mer du Nord. En 1346, les Anglais ont même poussé jusqu'à Paris.
Pour défendre les Parisiens, une enceinte avait été construite quelques 150 ans plus tôt par Philippe-Auguste, mais elle est déjà vétuste, et les faubourgs se sont étendus. Aussi le Dauphin, futur Charles V, décide-t-il d'édifier une nouvelle enceinte quelques centaines de mètres plus loin. Le Trésor royal, mal en point, impose des économies : seule la rive droite, la plus peuplée, sera dotée d'un nouveau rempart ; pour la rive gauche, on se contentera de moderniser la fortification existante. En outre, pour faciliter la défense de la ville, on ne lui donnera que six portes.
De droite à gauche, la porte Saint-Antoine, la Bastille et les faubourgs.
La porte Saint-Antoine se situait à peu près à la sortie de notre rue éponyme, tout près de l'Hôtel Saint-Pol où le Dauphin avait élu domicile. C'est pourquoi on lui adjoignit un chastel entre 1370 et 1383, que l'on désignera plus tard par bastille (comme bastion). Ce château fort dressé sur le rempart fut conçu selon le modèle commun à l'époque, avec quatre murs et quatre tours d'angle (quatre autres tours seront ajoutées plus tard). De larges douves l'entouraient, emplies des eaux de la Seine. Le donjon, auquel on accédait par un pont-levis, abritait une garnison et un arsenal.
Mais la forteresse était loin d'être imprenable. En 1588, le peuple de Paris s'y engouffra une première fois, après avoir eu vent de ce que le roi Henri III projetait de désigner comme successeur le protestant Henri de Navarre. Puis ce furent les nobles de France, alliés dans la Fronde contre le roi, qui s'emparèrent de la Bastille en 1649.
A vrai dire, l'édifice a vite révélé la médiocrité de sa valeur militaire. Néanmoins, on y maintint toujours une garnison et un important arsenal. Pendant quelques temps, on entreposa le Trésor royal dans l'une des tours, que le peuple surnommait "la tour du Trésor". Pour sa part, François Ier employait l'édifice comme salle de réception. Lorsque les Anglais conquirent Paris en 1420, la forteresse abrita même la Cour tout entière.
C'est au 17ème siècle que le Cardinal de Richelieu convertit définitivement la Bastille en prison. Il faut dire qu'à l'âge d'or des splendides châteaux du Louvre et de Versailles, la modeste forteresse n'avait plus d'autre utilité. Du reste, c'était une fonction d'une importance toute relative, car faute de place, le nombre de détenus n'a jamais dépassé les quelques dizaines, pour la plupart des délinquants de droit commun.
Ainsi, au fil des années, la Bastille avait-elle perdu sa raison d'être. Sa masse gênait l'expansion des faubourgs - la porte Saint-Antoine avait été démolie dès 1718 car elle entravait la circulation. L'entretien des garnisons et les appointements du gouverneur réclamaient des sommes considérables eu égard au peu de prisonniers que détenait la Bastille. Louis XVI lui-même s'en plaignit, et Necker préconisa dès 1784 l'abattement de la forteresse, après quatre siècles de bons et loyaux services. Il n'aurait pas à s'en charger : bientôt, la Révolution éclaterait...
L'histoire de la Bastille s'achève dans des circonstances non moins intéressantes que celles où elle a commencé. Nous en parlerons dans un prochain billet !
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