Comme nul ne l’ignore (ou presque !), grâce à l'article écrit par Emmanuel en décembre dernier, l’actuelle église Saint-Paul-Saint-Louis doit son vocable actuel à la fusion de deux anciennes paroisses : la très ancienne église Saint-Paul, d’une part, qui donnait sur la rue du même nom et qui a été détruite en 1797 (on peut encore en contempler une ogive), et l’église Saint-Louis-des-Jésuites d’autre part, consacrée en 1641 par le cardinal de Richelieu.
Je ne vous parlerai pas ici de l’influence du Concile de Trente dans l’architecture de l’édifice, mais plutôt de quelques détails pour le moins singuliers, qui illustrent toutes les tensions qui ont pu exister entre la Monarchie française et l’ordre jésuite. Celui-ci, perçu à juste titre comme l’auxiliaire direct de la Papauté, a été en butte aux plus farouches critiques de la part des catholiques gallicans. Il fallut attendre 1604 pour que le Roi lui-même accordât pour de bon son soutien aux frères noirs. Ce soutient, au demeurant, fut loin d’être gratuit, et les jésuites français se montrèrent dès lors plus souvent zélés serviteurs de la royauté qu’émules actifs du Pape, reniant ainsi leur statut originel...
Cette contradiction se lit parfaitement sur les pierres de l’église qu’il se font édifier au cœur de Paris. Le vocable lui-même de la paroisse, tout d’abord. Il eût été logique que l’église portât le nom d’un saint jésuite : saint Ignace (de Loyola) par exemple, ou encore saint François-Xavier. Pourtant, elle a été placée sous la protection de saint Louis, le saint majeur de la royauté française ! A présent, regardons le massif antérieur. L’horloge qui a été installée sur la rosace provient de l’ancienne église Saint-Paul, dont elle perpétue le souvenir. Mais auparavant, cette rosace était ornée de la devise « IHS » (Iesus Hominum Salvator, « Jésus sauveur des hommes »), devise propre à l’ordre jésuite. Or, si nous levons les yeux jusqu’au fronton, nous constatons qu’il est orné… des armes de France et de Navarre, armoiries personnelles du Roi ! Un contraste plutôt fort, et qui marque bien la sujétion à laquelle les jésuites étaient astreints vis-à-vis de la Monarchie française.
Enfin, si nous entrons dans l’église, nous pouvons observer de nouveaux exemples de cette particularité historique. Sur la voûte, comme sur les autels ou les grilles, le sigle « IHS » est souvent visible. Mais la royauté, encore une fois, n’était pas loin. Sur la frise qui orne les entablements des parois, on peut voir des têtes d’anges alterner avec le chiffre entrelacé « MA » (Maria). Ces ornements, en fait, ne datent que de la Restauration. Auparavant, leur place était occupée… par des fleurs de lys, qui ont été martelées par les révolutionnaires de 1793, et n’ont pas été rétablies par la suite.
Dernier exemple, malheureusement aujourd’hui invisible, de cette « cohabitation » entre les jésuites et la monarchie : l’ancien maître-autel de l’église Saint-Louis, détruit à la Révolution, s’ornait d’un programme sculpté complexe. Or, le premier niveau de ce retable présentait les statues des jésuites Ignace de Loyola et François-Xavier, encadrées des statues de saint Louis et saint Charlemagne, les deux saints de la royauté française invoqués lors des Sacres… On ne saurait être plus clair : les jésuites en France, oui, mais sous sévère surveillance du pouvoir royal !
P.S.: La façade de cette église tombe malheureusement en ruine, faute de la restauration qu'aurait dû effectuer la municipalité. Une pierre est tombée cette semaine, et l'on a été obligé d'établir un périmètre de sécurité devant l'édifice (vous pouvez voir la vidéo que Vincent ROGER a consacrée à la question).
Dans son programme (page 10) Vincent ROGER s'est engagé à restaurer la façade de l'église Saint-Paul-Saint-Louis. Cette restauration s'impose désormais d'urgence !